Cullettività di Corsica - Collectivité de Corse

Discours du Président du Conseil exécutif de Corse : Hommage à Léo Micheli



 
DISCOURS DU PRESIDENT DU CONSEIL EXECUTIF DE CORSE
HOMMAGE A LEO MICHELI
Bastia, u 11 di settembre di u 2021
 
Seul le prononcé fait foi.
 
 
Monsieur le Maire de Bastia,
Monsieur le Député de la 1ère circonscription de Haute-Corse,
Monsieur le Député de la 2ème circonscription de Haute-Corse,
Madame la Présidente du Conseil économique, social, culturel et environnemental de la Corse,
Monsieur l’ancien Président de l’Assemblée de Corse, Caru Dumenicu,
Mesdames et Messieurs les élu(e)s,
Monsieur le Président de l’ANACR,
Monsieur le Secrétaire fédéral du Parti Communiste Français,
Mesdames et Messieurs les membres et représentant(e)s de la famille de Léo Micheli,
Mesdames et Messieurs,
Care amiche, cari amichi,

Il disait toujours « nous » au lieu de « je », comme le confiait Dominique Lanzalavi qui a recueilli dans un film et un livre le récit de sa vie et de ses engagements.

Celui qui disait toujours « nous » au lieu de « je » nous a laissés.

Et il suffit de regarder cette photographie de Léo Micheli, prise à Bastia le jour du 70ème anniversaire de la Libération de la Corse, pour mesurer combien le monde nous semble moins lumineux et plus vide en son absence.

Quel est le sens de notre présence, ici aujourd’hui ?

Il est, me semble-t-il, double.

La première exigence, que nous avons ressentie de façon spontanée et naturelle, c’était d’exprimer à toute sa famille, son épouse, ses enfants, ses petits-enfants, celles et ceux qui l’ont connu et aimé, ses camarades, d’exprimer, donc, à toutes celles-là et tous ceux-là, notre soutien et notre affection.

La mort d’un homme public, la mort d’un grand homme, peut quelquefois donner l’impression de priver celles et ceux qui ont le privilège d’avoir avec lui un lien d’intimité l’impression d’être privés ou amputés de cette dimension.

Ici en Corse, la proximité, l’étroitesse des liens entre les femmes et les hommes qui composent notre communauté, la densité de ce qui nous a lié directement ou indirectement à Léo MICHELI, font que ce deuil, qui est d’abord et avant tout le vôtre, est aussi le nôtre et de façon intime et personnelle.

Puisque la mémoire de ce combattant a été évoquée avec autant de talent que de justesse à la fois par Michel Stefani et par le bâtonnier Sixte Ugolini, je ne reviendrai pas sur ce que fut sa vie, une vie d’une intensité sans pareille et qui s’est confondue avec le siècle.

Je voudrais simplement citer en un mot ce que dit sa fille Vanina de lui pour le définir, dans la préface du livre d’entretien « En homme libre » dont il a nous a fait cadeau au crépuscule de son existence : « passionné par la poésie de Dante et d’Aragon, par la philosophie grecque, hégélienne et marxiste, par la musique de Mozart et de Verdi, par l’art et la littérature, Léo Micheli est un homme de grande culture et un humaniste dont témoigne son parcours riche d’engagements déterminés et de choix courageux ».

C’est d’abord, et avant tout de façon intime, personnelle et avec beaucoup d’émotion, à cet homme-là, que nous voulons ensemble rendre hommage devant sa famille.

Votre deuil est le nôtre et nous tenions à être à vos côtés en ces moments inéluctablement douloureux, même s’ils ont été attendus et affrontés avec le courage, la sérénité et le détachement qui ont caractérisé la vie de votre père.

Il est une deuxième raison, moins personnelle, moins intime mais tout aussi essentielle qui justifie notre présence ici, en tant qu’élus, et je salue notamment la présence du maire de Bastia Pierre Savelli, des députés Michel Castellani et Jean Felix Acquaviva, ou encore de la Présidente du CESEC, Marie Jeanne Nicoli.

Il était en effet indispensable que la Corse et ses institutions expriment publiquement et de façon solennelle, leur admiration et leur gratitude à Etienne Micheli, dit ‘’Léo’’.

Je prends donc la parole et je remercie Michel Stefani et la famille de Léo Micheli de m’avoir demandé de faire, au nom du Conseil exécutif de Corse et de la Collectivité de Corse.

Léo Micheli était un Chef historique de la Résistance, il était un grand homme, il était et il est une figure majeure de l’histoire contemporaine de la Corse.

Léo Micheli était, est et restera un juste parmi les justes, un homme libre, d’une liberté totale et absolue, un militant communiste, un immense héros qui incarne, désormais pour l’éternité ,ce que l’humanité peut produire de meilleur : la lucidité ; la générosité ; la fraternité entre les individus et entre les peuples ; l’héroïsme, le sacrifice ; l’oubli de soi même pour que d’autres, aujourd’hui ou demain, puissent vivre ; le combat indomptable pour la dignité ; la fidélité, enfin, à un idéal de paix et de liberté.

Pour toutes ces raisons, Il est légitime que la Corse, la France, l’Europe, ses frères et sœurs d’humanité par-delà les frontières et les époques, reconnaissent Léo, et avec lui tous ses frères et sœurs de combat, comme des héros de notre histoire contemporaine.

L’héritage qu’ils nous ont transmis est immense.

Il est précieux, particulièrement au moment où ressurgit partout dans le monde le fracas de la haine et de l’intolérance.

Vous avez évoqué, vous, ses camarades, ses amis, ses frères et sœurs, ce qu’il a été, et les multiples facettes de cet homme à la richesse inépuisable.
 
Je ne peux ni ne veux choisir dans sa vie ce qui m’en paraît le plus extraordinaire ou le plus admirable :
  • Est-ce ce jeune homme, tout jeune homme d’à peine 16 ans, qui, au nom de l’idéal communiste, va s’engager dans la Résistance au péril de sa vie ?
  • Est-ce ce passionné de livres et de philosophie, qui toute sa vie aura la conviction ferme que la culture et l’éducation sont les plus sûrs ferments de l’émancipation individuelle et collective ?
  • Est-ce cet amoureux de la Révolution Française et de sa promesse d’égalité entre les citoyens, donc entre les travailleurs ?
  • Ou encore cet amoureux aussi de l’idéal Paoliste, lui qui avait su convaincre ses camarades d de l’Ecole Normale de donner à leur promotion le nom de Pasquale Paoli ?
  • Est-ce enfin cet homme déjà mûr, toujours pénétré des convictions qui seront les siennes toute sa vie, et qui pourtant, n’hésita pas à aller témoigner devant la Cour de sûreté de l’Etat au procès des militants du FLNC en 1979 ?
Je relisais avant de venir ici, ce témoignage long dense et duquel je ne veux pas extraire des phrases, au risque d’en altérer l’intégrité mais dire simplement qu’il avait alors déclaré deux choses qui me paraissent essentielles :

D’abord se tournant vers les accusés dans le box, il s’était adressé aux juges en ces termes :
« Ils témoignent tous ici, à leur manière, qui n’est pas la mienne, que nous sommes le peuple corse. Issus de la terre de Corse ou d’ailleurs, ils font aujourd’hui, avec bien d’autres, le Peuple corse, dans son histoire, un peuple qui se rassemble dans sa diversité, dans toute sa diversité ».

Et puis aussi parce que pour lui, la lutte, si elle avait emprunté des chemins de lutte armée, devait dans une démocratie être exclusivement démocratique, il avait affirmé :
« Il n’est pas d’autre voie, y compris pour créer des rapports d’une tout autre qualité qui pourraient s’établir avec le peuple corse, que les luttes démocratiques conduites jusqu’au bout », tout en soulignant que la Corse avait été historiquement privée de cette démocratie.

Nous aurons encore à parler, à échanger, à nous rappeler ce qui a été fait et ce qui a été dit par l’homme auquel nous rendons aujourd’hui hommage.

Mais au moment de conclure ce bref propos et me tournant une fois encore vers lui et vers tous les autres, dont le nom est gravé sur ce monument dédié aux résistantes et résistants corses, je veux leur dire qu’ils ont écrit les pages parmi les plus belles et les plus glorieuses de notre histoire collective, des pages écrites en lettres de larmes et de sang au nom des valeurs universelles de solidarité et d’humanité.

Certes, ils ne sont plus là, Léo n’est plus là physiquement, mais lui et toutes et tous les autres vivent dans la mémoire des rues, des places, des écoles, des collèges, des lycées.

Ils vivent, elles vivent, dans nos paroles, dans nos rêves, dans les poèmes, dans le rire des enfants, dans le combat toujours recommencé pour la justice, pour le bonheur, et pour la paix.

Ce qui rend le départ de Léo plus émouvant encore, c’est que c’est, avec lui, la dernière voix de la Résistance qui s’éteint.
Se fait donc entendre, de façon plus exigeante encore, l’attente, le besoin absolu de transmettre, de conserver, de partager.

Vous l’avez dit bâtonnier Ugolini, sans témoin pour la raconter, l’histoire n’existe pas.

Puisque celles et ceux qui ont vécu cette histoire ne sont plus là, je pense et je me tourne vers Marie-Jeanne Nicoli, Présidente du CESEC avec laquelle nous nous sommes entretenus de ce projet, je pense que le moment est venu plus que jamais, de faire qu’il y ait en Corse, un musée qui soit celui, bien sûr, de toutes les Résistances de ce petit peuple de Méditerranée.

Qui soit donc celui, naturellement, de la Résistance de ces années de lutte contre le fascisme et le nazisme.

La création de ce Musée permettra que soit conservée, transmise, valorisée, réinterrogée sans doute aussi par les historiens, la mémoire vive de ce passé qui a permis le présent et éclaire l’avenir.

Elle permettra aussi que ce legs soit préservé, et que nous conservions intacts le visage, la voix, le nom, l’action de ces femmes et ces hommes qui se sont sacrifiés pour nous.

Si dans cette lumineuse journée du mois de septembre, en un triste jour de deuil et un triste jour anniversaire – celui du 11 septembre -, si au-delà de notre émotion et de notre communion, nous pouvions prendre ensemble l’engagement que ce projet voie le jour, rapidement, ce serait aussi une façon de rappeler que les forces de la vie, toujours, prennent et prendront le dessus sur celles de l’oubli et de la mort.

J’avais cité, à Piana, lors de la cérémonie d’anniversaire de la mort de Danielle Casanova, le mot du Capitaine Alexandre, Chef de la Résistance en Provence, que la libération rendit ensuite à sa véritable identité, René Char.

Le capitaine Alexandre qui avait su, en un aphorisme, définir et exalter le lien invisible qui doit relier sans cesse les générations d’hier à celles d’aujourd’hui et de demain : « pour qu’un héritage soit réellement grand, il faut que la main du défunt ne se voie pas ».

L’héritage de Léo Micheli, comme celui de ses frères et sœurs de Résistance, est immensément grand.

Et même si sa main ne se voit pas, elle continuera à guider chacun de nos choix, en ces temps de tumulte et d’incertitude.

A vede ci, o Leo.
Ch’ella ti sia dolce è leggera a tarra di a to Corsica.
A to famiglia, i to amichi, è u to populu sò à fianc’à te per l’ultimu viaghju.
 
 
Gilles SIMEONI

 

Page publiée le 13/09/2021 | Modifiée le 14/09/2021 à 14:13