Gilles Simeoni, président de l'exécutif: "Il faut un électrochoc en faveur de la langue corse"
C'est l'objectif que s'est assigné le président de l'exécutif en présentant à l'assemblée un rapport d'information issu d'une enquête sociolinguistique. Une méthode de travail novatrice grâce à laquelle la majorité espère obtenir une mobilisation de larges pans de la société insulaire.
Si l'on ne se fiait qu'au débat qui s'est déroulé jeudi après-midi dans l'hémicycle, il n'y aurait guère de raison de s'inquiéter pour la langue corse. Celle-ci a non seulement été au cœur des échanges mais, de surcroît, elle a beaucoup été parlée par les élus. Le problème, c'est qu'à l'extérieur de l'assemblée, les choses sont tout autres.
Pour le rappeler, le président du conseil exécutif présentait un rapport d'information relatif à une "enquête sociolinguistique sur la langue corse" ; enquête réalisée à sa demande par l'université de Corse auprès d'un échantillon de 1 500 personnes.
Le document pose un diagnostic réactualisé de la situation du corse. Une longue liste de chiffres dont on retient que le nombre de locuteurs actifs adultes est estimé sur l'île à 105 000, soit 39,1 % de la population adulte. Le rapport indique d'autre part des pistes à explorer pour enrayer ce que l'enquête suggère plus qu'elle n'établit : le déclin de la langue.
L'objectif de Gilles Simeoni est de passer d'une "politique de la langue" à une "véritable politique linguistique". "Il faut que cette mandature soit une mandature pendant laquelle il y ait un véritable choc positif en faveur de la langue, insiste-t-il. Il faut un électrochoc non seulement du côté de la Collectivité de Corse mais aussi dans toute la société pour que ces années soient des années de réappropriation et de reconquête."
Coofficialité de droit et coofficialité de fait
Pour relever ce défi, le président de l'exécutif inaugure une nouvelle méthode d'élaboration de la décision politique : le rapport d'information. Au lieu d'être directement soumis à l'approbation des conseillers territoriaux, celui-ci sert de point de départ à un travail collectif associant le conseil exécutif, l'assemblée elle-même, les instances consultatives de la CdC et "l'ensemble de la société corse via ses acteurs concernés". Un cycle de réunions de travail de plusieurs mois qui est censé aboutir à un rapport définitif soumis au vote.
S'il mise sur la concertation, Gilles Simeoni n'en a pas moins une idée très précise des directions que doit prendre la future politique linguistique de la CdC. Pour lui, il faut garantir à la langue corse une double coofficialité. "Il y a tout d'abord la coofficialité de droit entre le corse et le français, explique-t-il. Ce n'est pas un a priori idéologique, c'est une nécessité scientifique. Il est établi qu'une langue minoritaire ne peut survivre sans statut d'officialité." Mais à côté de cet objectif ancien, le président de l'exécutif propose de rechercher à une "coofficialité de fait" : "Si on se contente d'avoir gain de cause sur le statut de coofficialité sans doper de manière très efficace notre pratique et la place de la langue corse dans tous les secteurs de la vie collective, nous risquons d'avoir un statut d'officialité pour une langue qui sera morte."
Un appel à la mobilisation de tout le corps social qui ouvre grand le champ d'intervention de la future politique linguistique. Et qui sert de point de départ à deux heures de débat au sein de l'hémicycle. Sur le fond, le sujet est consensuel. Comme la grande majorité des personnes interrogées dans l'enquête, les élus de l'assemblée sont attachés à la langue corse et voient dans les politiques publiques un instrument de sa sauvegarde. Aussi, les critiques portent-elles sur des aspects ponctuels. Au terme d'une longue intervention, Jean-Martin Mondoloni évoque "la part manquante" du rapport. "On ne parle jamais assez du syndrome de l'interlocuteur idéal, de cette peur de parler corse qui fait autant de ravages que la chape institutionnelle qui empêcherait de parler, explique le coprésident du groupe Un Soffiu Novu. Deuxième question qui n'est jamais posée : celle du désir de langue, di a brama di parlà corsu. Enfin - et c'est quelque chose que je réclame depuis des années -, il y a la question de l'évaluation. Moi ce qui m'intéresse, lorsqu'une personne pousse la porte d'une casa di a lingua, c'est quel niveau elle a en entrant et quel niveau elle a en sortant."
"Il faut une relation de confrontation"
Le rôle du système éducatif est lui aussi longuement débattu. L'enseignement public bilingue, sur lequel les défenseurs du corse ont longtemps fondé leurs espoirs, a montré ses limites. Tout le monde s'accorde à le reconnaître. La "tendance" aujourd'hui est à la promotion de l'enseignement immersif.
Trois rapports accordant des crédits à des associations impliquées dans ce domaine seront d'ailleurs votés à l'issue du débat. Pour certains intervenants, cela ne doit pas conduire à laisser de côté la question de l'Éducation nationale. "À travers les compétences formation dévolues à la CdC, nous avons la possibilité de jouer un rôle de contrôle sur ce qui se fait dans l'école publique, insiste Josepha Giacometti, conseillère indépendantiste non-inscrite et porte-parole de Corsica Libera. Il faut faire bouger le système éducatif dans son ensemble : le public et l'associatif à la fois."
Conseiller exécutif en charge de la langue corse lors des deux précédentes mandatures, Xavier Luciani est sur la même ligne. "Quand l'école est en crise, elle ne peut créer des locuteurs sur papier A4, souligne le conseiller Avanzemu. La convention que nous avions conclue avec l'État en 2016 nous permettait au moins de lui demander des comptes via un organe de cogestion de la langue corse. Sur ce point, il y a eu une lacune. Il faut remettre en place cette relation avec l'État, qui était une relation de confrontation."
Sur ce terrain de la transmission, l'intervention la moins convenue est sans doute celle du conseiller Core in Fronte, Paul Quastana. "Je ne suis pas spécialiste de la question, reconnaît-il. Mais de mon point de vue, on ne peut pas apprendre le corse à l'école, il faut l'apprendre dès la crèche. Ce dont on a besoin, ce n'est pas d'universitaires, ce qu'il nous faut, ce sont des personnes âgées, de vrais locuteurs qui interviennent auprès des enfants dans les crèches."
"Un droit issu de la citoyenneté"
Des propos qui font sourire Romain, maître de conférences en sociolinguistique à l'université de Corse et membre du groupe Fà Populu Inseme. Après une intéressante mise en perspective historique, celui-ci remet la question institutionnelle sur le tapis. "Notre démarche doit s'appuyer sur deux piliers, soutient-il. Il faut considérer la langue comme un droit que les Corses ont au titre de leur citoyenneté, comme le droit de vote. Ce droit doit d'autre part être soutenu par le devoir des institutions. C'est cela qu'on appelle la coofficialité."
Une coofficialité que l'universitaire ne se résout pas à voir ravalée au rang de vœux pieux : "Je ne sais pas si le processus de discussion qui s'est engagé avec Paris débouchera sur un statut pour la langue. Ce que je sais, c'est que nous avons reçu mandat pour faire valoir cette demande."
Un point de vue qui colle à celui de Gilles Simeoni, lequel ne désespère pas de voir la question de la coofficialité discutée avec Paris, même si le président Macron semble y voir une ligne rouge à ne pas franchir.
Pour cette raison, sans doute, le président de l'exécutif souhaite aller vite. Il espère voir le rapport d'information présenté hier déboucher "d'ici six mois" sur une délibération de l'assemblée de Corse renfermant des orientations et des revendications concrètes.
C'est l'objectif que s'est assigné le président de l'exécutif en présentant à l'assemblée un rapport d'information issu d'une enquête sociolinguistique. Une méthode de travail novatrice grâce à laquelle la majorité espère obtenir une mobilisation de larges pans de la société insulaire.
Si l'on ne se fiait qu'au débat qui s'est déroulé jeudi après-midi dans l'hémicycle, il n'y aurait guère de raison de s'inquiéter pour la langue corse. Celle-ci a non seulement été au cœur des échanges mais, de surcroît, elle a beaucoup été parlée par les élus. Le problème, c'est qu'à l'extérieur de l'assemblée, les choses sont tout autres.
Pour le rappeler, le président du conseil exécutif présentait un rapport d'information relatif à une "enquête sociolinguistique sur la langue corse" ; enquête réalisée à sa demande par l'université de Corse auprès d'un échantillon de 1 500 personnes.
Le document pose un diagnostic réactualisé de la situation du corse. Une longue liste de chiffres dont on retient que le nombre de locuteurs actifs adultes est estimé sur l'île à 105 000, soit 39,1 % de la population adulte. Le rapport indique d'autre part des pistes à explorer pour enrayer ce que l'enquête suggère plus qu'elle n'établit : le déclin de la langue.
L'objectif de Gilles Simeoni est de passer d'une "politique de la langue" à une "véritable politique linguistique". "Il faut que cette mandature soit une mandature pendant laquelle il y ait un véritable choc positif en faveur de la langue, insiste-t-il. Il faut un électrochoc non seulement du côté de la Collectivité de Corse mais aussi dans toute la société pour que ces années soient des années de réappropriation et de reconquête."
Coofficialité de droit et coofficialité de fait
Pour relever ce défi, le président de l'exécutif inaugure une nouvelle méthode d'élaboration de la décision politique : le rapport d'information. Au lieu d'être directement soumis à l'approbation des conseillers territoriaux, celui-ci sert de point de départ à un travail collectif associant le conseil exécutif, l'assemblée elle-même, les instances consultatives de la CdC et "l'ensemble de la société corse via ses acteurs concernés". Un cycle de réunions de travail de plusieurs mois qui est censé aboutir à un rapport définitif soumis au vote.
S'il mise sur la concertation, Gilles Simeoni n'en a pas moins une idée très précise des directions que doit prendre la future politique linguistique de la CdC. Pour lui, il faut garantir à la langue corse une double coofficialité. "Il y a tout d'abord la coofficialité de droit entre le corse et le français, explique-t-il. Ce n'est pas un a priori idéologique, c'est une nécessité scientifique. Il est établi qu'une langue minoritaire ne peut survivre sans statut d'officialité." Mais à côté de cet objectif ancien, le président de l'exécutif propose de rechercher à une "coofficialité de fait" : "Si on se contente d'avoir gain de cause sur le statut de coofficialité sans doper de manière très efficace notre pratique et la place de la langue corse dans tous les secteurs de la vie collective, nous risquons d'avoir un statut d'officialité pour une langue qui sera morte."
Un appel à la mobilisation de tout le corps social qui ouvre grand le champ d'intervention de la future politique linguistique. Et qui sert de point de départ à deux heures de débat au sein de l'hémicycle. Sur le fond, le sujet est consensuel. Comme la grande majorité des personnes interrogées dans l'enquête, les élus de l'assemblée sont attachés à la langue corse et voient dans les politiques publiques un instrument de sa sauvegarde. Aussi, les critiques portent-elles sur des aspects ponctuels. Au terme d'une longue intervention, Jean-Martin Mondoloni évoque "la part manquante" du rapport. "On ne parle jamais assez du syndrome de l'interlocuteur idéal, de cette peur de parler corse qui fait autant de ravages que la chape institutionnelle qui empêcherait de parler, explique le coprésident du groupe Un Soffiu Novu. Deuxième question qui n'est jamais posée : celle du désir de langue, di a brama di parlà corsu. Enfin - et c'est quelque chose que je réclame depuis des années -, il y a la question de l'évaluation. Moi ce qui m'intéresse, lorsqu'une personne pousse la porte d'une casa di a lingua, c'est quel niveau elle a en entrant et quel niveau elle a en sortant."
"Il faut une relation de confrontation"
Le rôle du système éducatif est lui aussi longuement débattu. L'enseignement public bilingue, sur lequel les défenseurs du corse ont longtemps fondé leurs espoirs, a montré ses limites. Tout le monde s'accorde à le reconnaître. La "tendance" aujourd'hui est à la promotion de l'enseignement immersif.
Trois rapports accordant des crédits à des associations impliquées dans ce domaine seront d'ailleurs votés à l'issue du débat. Pour certains intervenants, cela ne doit pas conduire à laisser de côté la question de l'Éducation nationale. "À travers les compétences formation dévolues à la CdC, nous avons la possibilité de jouer un rôle de contrôle sur ce qui se fait dans l'école publique, insiste Josepha Giacometti, conseillère indépendantiste non-inscrite et porte-parole de Corsica Libera. Il faut faire bouger le système éducatif dans son ensemble : le public et l'associatif à la fois."
Conseiller exécutif en charge de la langue corse lors des deux précédentes mandatures, Xavier Luciani est sur la même ligne. "Quand l'école est en crise, elle ne peut créer des locuteurs sur papier A4, souligne le conseiller Avanzemu. La convention que nous avions conclue avec l'État en 2016 nous permettait au moins de lui demander des comptes via un organe de cogestion de la langue corse. Sur ce point, il y a eu une lacune. Il faut remettre en place cette relation avec l'État, qui était une relation de confrontation."
Sur ce terrain de la transmission, l'intervention la moins convenue est sans doute celle du conseiller Core in Fronte, Paul Quastana. "Je ne suis pas spécialiste de la question, reconnaît-il. Mais de mon point de vue, on ne peut pas apprendre le corse à l'école, il faut l'apprendre dès la crèche. Ce dont on a besoin, ce n'est pas d'universitaires, ce qu'il nous faut, ce sont des personnes âgées, de vrais locuteurs qui interviennent auprès des enfants dans les crèches."
"Un droit issu de la citoyenneté"
Des propos qui font sourire Romain, maître de conférences en sociolinguistique à l'université de Corse et membre du groupe Fà Populu Inseme. Après une intéressante mise en perspective historique, celui-ci remet la question institutionnelle sur le tapis. "Notre démarche doit s'appuyer sur deux piliers, soutient-il. Il faut considérer la langue comme un droit que les Corses ont au titre de leur citoyenneté, comme le droit de vote. Ce droit doit d'autre part être soutenu par le devoir des institutions. C'est cela qu'on appelle la coofficialité."
Une coofficialité que l'universitaire ne se résout pas à voir ravalée au rang de vœux pieux : "Je ne sais pas si le processus de discussion qui s'est engagé avec Paris débouchera sur un statut pour la langue. Ce que je sais, c'est que nous avons reçu mandat pour faire valoir cette demande."
Un point de vue qui colle à celui de Gilles Simeoni, lequel ne désespère pas de voir la question de la coofficialité discutée avec Paris, même si le président Macron semble y voir une ligne rouge à ne pas franchir.
Pour cette raison, sans doute, le président de l'exécutif souhaite aller vite. Il espère voir le rapport d'information présenté hier déboucher "d'ici six mois" sur une délibération de l'assemblée de Corse renfermant des orientations et des revendications concrètes.
Gilles Simeoni ne désespère pas de voir la question de la coofficialité discutée avec Paris, même si le président Macron semble y voir une ligne rouge à ne pas franchir.
(photo Paule Santoni)
(photo Paule Santoni)
Jean-Martin Mondoloni, coprésident du groupe Un Soffiu Novu, insiste sur la nécessité d'une évaluation des dispositifs de soutien à la langue corse.
(photo Florent Selvini)
(photo Florent Selvini)