Historique
Par commodité, on a tendance à circonscrire l’enseignement de la langue et de la culture corses (LCC) à l’histoire contemporaine, c'est-à-dire entre le « Riacquistu[[1]]» des années 1970 et aujourd’hui. Cette question socialement vive a pourtant une histoire plus ancienne et si la troisième république ne mentionne les langues régionales que dans le règlement intérieur des écoles jusqu’à la publication de la circulaire De Monzie en 1925, cela témoigne mal de son désintérêt pour cet enjeu linguistique, éducatif et politique.
1920-1943 : Un serpent qui se mord la queueCette circulaire ajourne un débat ouvert en Corse par les corsistes du Partitu Corsu d’Azzione et du journal A Muvra de Petru Rocca. Au sein même de l’Ecole, Jean-Pierre Lucciardi, instituteur à Santu Petru di Tenda, rédige en 1923 « un rapport sur l’utilisation du corse dans l’enseignement du français », avant que l’Inspecteur Biron ne lance une enquête sur « l’utilisation du dialecte corse à l’école primaire », en avril 1924. Ce dernier pointe alors du doigt la problématique de l’élaboration linguistique et didactique du corse. Faut-il doter préalablement le corse d’une orthographe et d’une grammaire avant qu’il ne soit enseigné ainsi que l’entend Paulu Arrighi ou bien faut-il enseigner le corse de manière à stimuler son élaboration, comme le préconise Petru Rocca ? Au-delà de ces querelles picrocholines, les enjeux géopolitiques internationaux seront peu propices à l’émancipation du corse du schéma diglossique. Les uns validant sa situation de subordination à l’italien, à l’image d’Alessiu Marchetti et des irrédentistes fascistes, les autres, la plupart des corsistes et des cyrnéistes, proposent en revanche une définition fluctuante, au gré de l’opportunité du moment. Dans l’ensemble, la revendication en faveur de l’enseignement du corse à côté du français et de l’italien se heurte à l’œuvre de francisation, esquissée et envisagée depuis le discours de Barère et le rapport de l’abbé Grégoire[[2]]. Le monolinguisme apparait comme un moyen en vue de la construction de l’Etat-nation. L’unité nationale passe par l’usage d’une langue non seulement commune mais exclusive. Relayée par le discours scientifique, la propagande républicaine diffuse une représentation pathologique du bilinguisme. En outre, économiquement exsangue, l’île voit sa population chuter considérablement. Dès lors, la promotion sociale passe par l’émigration et la maîtrise de la langue française. Enfin, la bonne santé relative du corse ne permet pas de mobiliser les insulaires, encore locuteurs corsophones natifs, en faveur de son enseignement. Ces trois facteurs seront les obstacles majeurs à son intégration au sein du curriculum. L’après guerre ou le temps de l’indifférence Après la seconde guerre mondiale, la Corse rentre dans la période de la « santa cruciata[[3]]». Malgré quelques vaines tentatives de la part des félibres du Muntese en faveur de l’intégration du corse à la loi Deixonne (1951), guère relayées par la classe politique, ce n’est qu’à partir des années soixante-dix et portée par une nouvelle génération moins corsophone mais davantage consciente de la valeur de son patrimoine linguistique que l’enseignement du corse sera toléré. Après 1968, conscientisation et problématisation Le sursaut tardif des années soixante-dix Tandis que l’effervescence de l’ethnic revival gagne l’Europe et l’Amérique, la Corse est animée par un mouvement de réappropriation de sa langue et de sa culture animé par la jeunesse. En 1970, l’obstacle de la norme orthographique[[4]]est surmonté avec la publication de l’ouvrage « Intricciate è cambiarine » de Pasquale Marchetti et Dumenicantone Geronimi. La même année, l’association Scola corsa[[5]] investit les champs pédagogiques[[6]] et revendicatifs. Elle obtient l’intégration du corse au sein de la loi Deixonne dès janvier 1974[[7]]. L’année suivante ont lieu les premières épreuves de langue corse au baccalauréat[[8]]. Au même moment, on assiste à une éclosion de diverses initiatives privées, mais contrairement aux autres régions, la revendication se focalise sur le secteur public et y obtient de meilleurs résultats. La polynomie L’émergence du concept fonctionnel de langue polynomique[[9]] permettra de respecter l’ensemble des variétés de la langue corse tout en évitant le réductionnisme d’une norme unique calquée sur le modèle paroxystique du français. Son appropriation par les chercheurs insulaires[[10]] sera consacrée par le CAPES de LCC[[11]] qui établit qu’« aucune variété linguistique ne sera privilégiée par le jury ». Revendication et procrastination Essentiellement portée par les courants autonomistes et nationalistes, la revendication va certes participer à la prise de conscience par les Corses de leur patrimoine linguistique mais l’écueil idéologique, encore vivace, va contribuer à faire de la langue une question non seulement politique mais partisane. Malgré les réticences d’une partie de la classe politique traditionnelle, en 1983, les élus de l’Assemblée de Corse votent à l’unanimité en faveur du bilinguisme, de la maternelle à l’Université. Ils se heurtent néanmoins à la fin de non recevoir du Premier Ministre Pierre Mauroy. À la suite de ce désaveu, l’Assemblée de Corse fera preuve de pusillanimité au sujet de la question linguistique. Le rapport Arrighi de Casanova de juillet 1988 sera cependant suivi d’effets. Quant au statut Joxe de 1991, il permet à la Collectivité Territoriale de Corse d’élaborer un « Plan de développement de la langue corse ». Il faudra néanmoins attendre près de huit ans, jusqu’au 29 avril 1999 pour que le premier soit voté. La revendication[[12]]achoppera par ailleurs sur le refus[[13]] du Conseil Constitutionnel [[14]] de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires[[15]]. En matière de langue corse, la procrastination prendra valeur de principe d’(in)action, éludant ainsi une véritable question politique interrogeant les valeurs fondatrices du pacte social. En 2005, le vide juridique laissé par l’abrogation de la loi Deixonne[[16]] est comblé par la loi d’orientation Fillon sur l’éducation qui supprime la distinction langue vivante/langue régionale. Ce n’est que cette année là que la CTC[[17]] prend l’initiative d’ouvrir la politique linguistique à d’autres secteurs que l’éducation et les médias. Elle s’engage alors dans la production, avec l’aide de spécialistes, d’un « Plan stratégique d’aménagement et de développement linguistique pour la langue corse »[[18]] voté en 2007. Le volet « Lingua è cultura corsa »[[19] du PRDF[[20]] s’inscrit dans cette politique globale. L’enseignement supérieur Une entrée discrète mais par le haut En dépit de la non-intégration du corse au dispositif ouvert par la loi Deixonne, le corse est entré par le haut du système éducatif. Un Centre d’études corses[[21]] circonscrit au troisième cycle est installé à la Faculté des Lettres d’Aix, en 1957, par Paulu Arrighi. Les événements de mai 1968 participent au déblocage de la situation. Dès la rentrée, un certificat de Langue, lettre et civilisation corses sera créé, avant que les Universités de Nice et Paris III n’ouvrent une UV pluridisciplinaire. La filière « Studii corsi » La réouverture[[22]] de l’Université de Corse[[23]] en 1981 permet la création d’une filière d’Etudes corses ouvrant droit aux diplômes de niveau licence[[24]] , master[[25]] et doctorat[[26]], ainsi qu’une section Cultures et langues régionales[[27]]au Conseil National des Universités[[28]] . C’est de cette filière que sont issus la plupart des 120 professeurs de Langue et Culture Corses. La création d’un Centre de Recherches Corses, en 1983, dans les locaux du Palazzu Naziunale [[29]] permit une amplification des travaux menés précédemment par les clercs P. Arrighi, A. Albitreccia ou bien encore F. Ettori qui fut le maître des chercheurs issus de la génération des années soixante-dix. La recherche, entièrement labellisée CNRS depuis 2008, est regroupée au sein de l’UMR Lieux Identités eSpaces Activités 6240[[30]]. Une Equipe de Recherche Technologique en Education : Curriculum et Identités dans l’Espace Européen travaille plus particulièrement sur le bilinguisme. L’Université a organisé deux colloques sur l’enseignement bilingue en 2004 et 2005, en collaboration avec les enseignants du primaire de l’association À Scioglilingua. Elle compte aujourd’hui sept maîtres de conférences et cinq professeurs des universités en Cultures et langues régionales. Un certificat de langue corse pour l’enseignement supérieur Seule institution du système éducatif où le suivi des cours de corse est obligatoire pour les étudiants, l’Université dispose de huit certifiés affectés à l’enseignement pour non-spécialistes. Ces derniers reçoivent un enseignement de 24 heures par année de licence. La passation facultative d’un certificat de langue corse pour l’enseignement supérieur[[31]] , élaboré sur le modèle du CLES[[32]] et de niveau B1 ou B2 selon les principes du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues[[33]], sanctionne le niveau des étudiants à l’issue de leurs études. Cette « certification[[34]] de l'Éducation nationale adaptée aux besoins de la société et notamment du monde professionnel » est également offerte par le GRETA. C’est néanmoins pour un motif de discrimination que l’ANPE a refusé en 2008 de publier une offre d’emploi pour une secrétaire avec la mention « corsophone souhaité[[35]] ». La reconnaissance de la compétence linguistique se heurte en effet à l’analogie, par certains pouvoirs publics, entre la corsophonie et l’origine corse. Cette praxis de la langue conduit non pas à une normalisation à la catalane de la question linguistique mais à son ethnicisation. L’enseignement secondaire Un CAPES monovalent Dans le secondaire, le boycott du CAPES bivalent et la pression politique conduisent à la création d’un concours monovalent par l’arrêté du 16 juillet 1990[[36]]url:http://www.corse.fr/linguacorsa/admin/page/#_ftn36 . On dénombre aujourd’hui 120 certifiés. La circulaire Bayrou du 7 avril 1995 permet une évolution qualitative en faisant évoluer l’enseignement de une à trois heures hebdomadaires et officialise la création de filières bilingues. Des effectifs très variables D’un point de vue plus quantitatif, c’est une circulaire du Recteur Jacques Pantaloni qui va avoir un impact considérable sur l’enseignement du corse dans le second degré. Depuis 1999, l’inscription des élèves de 6e en cours de LCC est automatique. Après une période d’essai, il revient aux parents d’effectuer la démarche afin de retirer le collégien du cours de LCC. On constate cependant aujourd’hui que les effectifs diminuent à chaque palier, passant d’environ 70% en 6e à 17% en terminale[[37]] , malgré le prix Andria Fazi[[38]]. En 2008[[39]], 39,75% des élèves du secondaire suivent un enseignement du corse. Environ 50% d’entre eux sont en 6e ou en 5e. Presque 15 ans après la parution de la circulaire Bayrou, ils ne sont que 7,19% à suivre un enseignement en classe bilingue ou en section méditerranéenne. Seul le bassin du lycée de Balagne dispose d’une filière bilingue complète allant de la maternelle au baccalauréat. Missions et limites de l’école Malgré quelques réussites, l’incapacité du système éducatif à produire des corsophones conduit une frange de l’opinion à en rejeter la responsabilité de façon exclusive sur les « profs de corse »[[40]]. Cette représentation analogique erronée entre le statut des langues et la qualité des enseignants témoigne de la persistance de rapports diglossiques entre le corse et le français. Si l’on devait comparer ces railleries aux antiennes plaintives au sujet des résultats des élèves en orthographe française, la critique des enseignants de lettres apparaitrait bien mince au regard de la culpabilisation des élèves et de la recherche d’une pédagogie[[41]] efficace. Enfin, il apparait qu’en l’état actuel du dispositif et des ressources offertes aux jeunes générations, l’école ne peut à elle seule transmettre le corse et accroitre le nombre de corsophones. L’enseignement primaire Un dispositif institutionnel plus avancé Au primaire, les circulaires Savary, publiées en 1982, marquent une inflexion qualitative par rapport au dispositif initial de la loi Deixonne. En 1985, les expériences du corse intégré préfigurent le futur enseignement bilingue à parité horaire. Les premiers sites sont officiellement ouverts en 1996, après la publication des circulaires Bayrou[[42]]. Par la suite, les circulaires Lang et l’article 7 de la loi sur la Corse du 22 janvier 2002 vont donner une impulsion nouvelle à l’enseignement extensif et à l’enseignement bilingue en créant un concours spécifique de recrutement[[43]] , une habilitation à enseigner le corse[[44]] et en rendant l’offre du corse obligatoire pour l’Etat. Son inscription dans chaque emploi du temps doit être vérifiée par l’inspecteur de circonscription mais l’enseignement par immersion[[45]] est invalidé par le Conseil d’Etat suite à un recours déposé par la FCPE, la Fédération des délégués départementaux de l'éducation nationale, la Ligue de l'enseignement, les syndicats d'enseignants SE-UNSA et SNES-FSU. Les outils didactiques Si l’enseignement bilingue constitue bel et bien un projet utilisant les méthodes didactiques les plus innovantes, dans le cadre prescrit par les programmes officiels[[46]] , elle s’appuie également sur la production du CRDP[[47]] . Depuis 1978[[48]] , il a produit environ 140 documents. Le développement de l’enseignement bilingue le contraint à produire des ressources pédagogiques dans toutes les disciplines en langue corse. Dès lors, faut-il traduire les manuels nationaux en excluant toute référence à la Corse, faut-il y adjoindre un ouvrage en supplément, ou faut-il produire des manuels qui ne se contenteraient pas seulement d’intégrer la particularité linguistique du contexte insulaire ? C’est face à ce choix que son confrontés les producteurs d’ouvrages. Enseignement bilingue versus enseignement standard L’enseignement du corse se répartit en fonction de deux grands cas de figure. Nous trouvons d’une part l’enseignement bilingue[[49]] à parité horaire qui accueille environ 20% des élèves de l’Académie et l’enseignement extensif, dispensé aux autres élèves, sous réserve néanmoins de l’accord des parents. Une analyse quantitative laisse entrevoir de grandes disparités. Si seulement 2% des élèves ne reçoivent pas d’enseignement du corse pour l’année scolaire 2008-2009, ils ne sont que 47% à recevoir un enseignement égal ou supérieur aux 3 heures hebdomadaires prescrites par les instructions officielles. Les trois centres d’immersion de Bastia, L’Oretu et de Savaghju permettent aux écoliers d’effectuer des séjours allant d’une journée à une semaine.
L’enseignement au défi du management La croissance de l’offre se heurte à un grave problème de ressources humaines. À titre d’exemple, pour la rentrée 2009, la filière bilingue de l’école de Bonifaziu ne comptera aucun enseignant bilingue. Dans l’enseignement extensif, le recours à des intervenants au statut précaire et peu formés, pour pallier le déficit de compétences et parfois de volonté de certains enseignants, est une solution provisoire depuis la rentrée 2001 et semble se pérenniser en l’absence d’alternative envisagée par les décideurs. La création d’un concours spécifique ainsi que les moyens alloués à la formation continue, au sein du plan académique du second degré (PAF) et des plans départementaux du premier degré (PDF) ne permettent pas d’accroitre le nombre d’enseignants corsophones et habilités. Une note de l’Inspecteur d’Académie de Haute-Corse datant de mars 2007[[50]] relève que : « le nombre de maîtres déclarant ne pas pouvoir enseigner le corse est passé de 27% en 2000 à 38% en 2005 ». Les premiers sites bilingues, implantés en milieu rural ou défavorisé, par des équipes pédagogiques dynamiques, voire même militantes, agissaient au sein d’un processus de structuration bottom-up tandis qu’aujourd’hui, l’implantation d’un site bilingue, relève d’abord d’une planification top-down susceptible de heurter certains enseignants non-corsophones inquiets de voir disparaitre leur poste au cas où la filière bilingue deviendrait trop attractive et provoquerait un déséquilibre entre les effectifs. L’identité professionnelle des enseignants est réinterrogée par leurs pratiques et leur rapport à la langue corse. Certains souhaiteraient bénéficier d’une plus grande formation tandis que d’autres se drapent dans leurs habits corporatistes et se refusent à envisager, tantôt par idéologie, tantôt par convenance personnelle, une évolution de leur pratique vers l’enseignement bilingue. Dans la plupart des cas, c’est l’absence de gratification ou de reconnaissance de l’investissement que requiert l’enseignement bilingue qui décourage les enseignants. La situation semble cependant évoluer du fait du fléchage de nombreux postes bilingues. La mobilité horizontale des enseignants aura pour préalable l’habilitation en langue corse. Encore faudra-t-il s’enquérir des pratiques effectives et de la place que l’évaluation leur sera accordée par les corps d’inspection. L’enseignement bilingue, entre élitisme et évitement Par ailleurs, la création de filières bilingues au sein de grandes écoles et de sites en milieu urbain modifient considérablement les relations école-familles. C’est dans ce contexte que la CTC a publié un livret d’information[[51]] à l’attention des parents. La filiarisation et la désectorisation permettent aux familles de choisir l’école ou la filière de scolarisation de leur enfant. Cependant, la prégnance des idéologies linguistiques est telle que les enseignants se croient parfois obligés de « rassurer » les familles en expliquant que contrairement aux instructions officielles[[52]], l’enseignement bilingue se limitera à trois heures hebdomadaires. Paradoxalement, c’est souvent parce que le curriculum de la « filière bilingue » ressemble en tous points à la filière standard, et dans le dire et dans le faire, qu’elle attire les familles. Plus que par le curriculum réel ou formel, il semblerait qu’elles soient motivées par les délices du curriculum caché. Si ce genre de stratégies d’évitement n’est pas propre à l’enseignement bilingue, elle interroge cependant les finalités que la société entend donner au bilinguisme scolaire. Autre point noir, lorsque la demande est supérieure à l’offre, la méthode de choix des élèves est soumise à la discrétion du directeur qui pratique le « tirage au sort » lorsqu’il ne s’inscrit pas dans une logique de « premier arrivé, premier servi », quand ce n’est pas lui-même qui décide de la composition des filières. S’agit-il alors de créer un système dualiste de type primaire/secondaire, discriminant de facto les enfants selon leur origine sociale et/ou ethnique ? À titre d’exemple, pour l’année scolaire 2007-2008, les écoles de Corti et L’Isula accueillaient 3,3% et 1,9% d’élèves dont la mère est de nationalité étrangère dans la filière bilingue contre 8,1% et 22,4% pour les filières standards. Rappelons ici que selon l’INSEE[[53]], la Corse est la cinquième région française en matière de population immigrée. Dans ce contexte particulier, la filiarisation dès l’école maternelle, comporte comme corollaire l’ethnicisation des rapports scolaires et le risque de les voir se transposer à l’ensemble de la société. Si l’Ecole à elle seule s’avère incapable d’ériger le corse en tant que langue de communication courante, il serait au moins souhaitable qu’elle en fasse la langue d’identification de l’ensemble des jeunes générations, de façon à participer non pas à la fragmentation sociale et ethnique du corps social mais à sa plus grande cohésion.
Le modèle éducatif empirique proposé aujourd’hui par l’enseignement bi/plurilingue oscille entre le modèle de l’intérêt général et un modèle marchant plus axé sur le libre choix des familles et la concurrence inter ou intra-établissements. Cet enjeu apparemment linguistique et éducatif entre une tentation élitiste et une orientation plus équitable vers l’excellence nous rappelle à l’urgence d’une réponse politique qui dépasse l’incantation ou le simple affichage. Dans le cas contraire, selon Alain di Meglio[[54]], « l’hypothèse d’une hypocrisie politique n’est pas totalement levée ».
Bilan L’enseignement de la langue corse a permis une relative disparition du stigmate afférant à la langue corse. Cependant, en vertu de son statut facultatif, la discipline LCC demeure au bas de l’échelle des disciplines. La principale limite du dispositif actuel réside dans le principe de volontariat des maîtres et des familles. Paradoxalement, après avoir développé un appareil critique de l’école républicaine qui n’octroyait que peu de place aux langues régionales, la revendication linguistique semble avoir trop cru en l’école tant et si bien que selon Jean-Marie Comiti, la langue corse serait victime du « syndrome du bocal ». Enfermé dans le ghetto scolaire, elle ne parviendrait pas à s’établir en tant que discipline socialement utile et en l’absence de coofficialité, elle perdrait peu à peu sa qualité de langue vivante dans la société. Elle se heurte moins qu’auparavant à des oppositions clairement idéologiques mais l’indécision demeurant quant au choix des valeurs fondatrices de la citoyenneté, apparait comme un obstacle à sa normalisation dans l’enseignement. On constate ainsi de grandes disparités dans la qualité de l’offre et l’affichage quantitatif parfois teinté de « langue de bois » de la part de l’Education Nationale ne permet pas une appréhension fine de la complexité de la réalité. La massification de l’enseignement extensif[[55]] mais plus encore, l’offre d’un enseignement bilingue a atteint un tel seuil que l’on assiste aujourd’hui à des effets pervers analysés par la sociologie de l’éducation. Il s’agit aujourd’hui de concilier l’innovation pédagogique promise par l’enseignement bi/plurilingue avec les impératifs de justice et d’équité prescrits par les principes politiques des démocraties libérales.
Enseignement de la langue corse 2008-2009 rentrée 2006 rentrée 2007 rentrée 2008 Nombre d’élèves qui ont suivi un enseignement du corse 31 141 31 550 32 245 Dans le cadre de l’enseignement bilingue 4 599 5 155 6 495 Dans le cadre de l’enseignement de la langue corse comme discipline 26 542 26 395 25 750 Bibliographie ARRIGHI J-M., 2002, Histoire de la langue corse, Gisserot, Paris.
COMITI J-M., 1992, Les Corses face à leur langue. De la naissance de l’idiome à la reconnaissance de la langue, Squadra di u Finusellu, Aiacciu.
COMITI J-M., 2005, La langue corse, entre chien et loup, L’Harmattan, Paris.
DI MEGLIO A., 1997, Doctorat NR : L’élaboration didactique d’une langue minorée : le corse. Problématique de l’enseignement du corse par l’approche sociolinguistique de documents didactiques entre 1974 et 1994, directeur : Jacques Thiers.
DI MEGLIO A., 2003, « L’avènement de l’enseignement du corse » in Histoire de l’école en Corse, Ajaccio, Albiana, Bibliothèque de la Corse.
DI MEGLIO A., 2004 a, « Formes et implications des maîtres bilingues en Corse », Congrès Environnement et identité en Méditerranée, Université de Corse, 19-25 juillet.
DUBET F, CHARLOT B, MEIRIEU P, DE SINGLY F., 1997, Ecole, familles : le malentendu, textuel, Paris.
DUBET F., 2004, L’école des chances, Qu’est-ce qu’une école juste ? , Seuil, Paris.
ETTORI F., 1981, « Le "miracle" de 1970 », in Le mémorial des Corses, Cyrnos et Méditerranée, p.349.
OTTAVI P., 2009, Le bilinguisme dans l'école de la République? Le cas de la Corse, Thèse de troisième cycle, Université de Corse, Albiana, Aiacciu.
QUENOT S., 2009, La langue corse, Anima corsa, Bastia.
VAN ZANTEN A., 1996, Stratégies utilitaristes et stratégies identitaires des parents vis à vis de l'école une relecture critique des analyses sociologiques, Lien social et politique, RIAC 35.
Par commodité, on a tendance à circonscrire l’enseignement de la langue et de la culture corses (LCC) à l’histoire contemporaine, c'est-à-dire entre le « Riacquistu[[1]]» des années 1970 et aujourd’hui. Cette question socialement vive a pourtant une histoire plus ancienne et si la troisième république ne mentionne les langues régionales que dans le règlement intérieur des écoles jusqu’à la publication de la circulaire De Monzie en 1925, cela témoigne mal de son désintérêt pour cet enjeu linguistique, éducatif et politique.
1920-1943 : Un serpent qui se mord la queueCette circulaire ajourne un débat ouvert en Corse par les corsistes du Partitu Corsu d’Azzione et du journal A Muvra de Petru Rocca. Au sein même de l’Ecole, Jean-Pierre Lucciardi, instituteur à Santu Petru di Tenda, rédige en 1923 « un rapport sur l’utilisation du corse dans l’enseignement du français », avant que l’Inspecteur Biron ne lance une enquête sur « l’utilisation du dialecte corse à l’école primaire », en avril 1924. Ce dernier pointe alors du doigt la problématique de l’élaboration linguistique et didactique du corse. Faut-il doter préalablement le corse d’une orthographe et d’une grammaire avant qu’il ne soit enseigné ainsi que l’entend Paulu Arrighi ou bien faut-il enseigner le corse de manière à stimuler son élaboration, comme le préconise Petru Rocca ? Au-delà de ces querelles picrocholines, les enjeux géopolitiques internationaux seront peu propices à l’émancipation du corse du schéma diglossique. Les uns validant sa situation de subordination à l’italien, à l’image d’Alessiu Marchetti et des irrédentistes fascistes, les autres, la plupart des corsistes et des cyrnéistes, proposent en revanche une définition fluctuante, au gré de l’opportunité du moment. Dans l’ensemble, la revendication en faveur de l’enseignement du corse à côté du français et de l’italien se heurte à l’œuvre de francisation, esquissée et envisagée depuis le discours de Barère et le rapport de l’abbé Grégoire[[2]]. Le monolinguisme apparait comme un moyen en vue de la construction de l’Etat-nation. L’unité nationale passe par l’usage d’une langue non seulement commune mais exclusive. Relayée par le discours scientifique, la propagande républicaine diffuse une représentation pathologique du bilinguisme. En outre, économiquement exsangue, l’île voit sa population chuter considérablement. Dès lors, la promotion sociale passe par l’émigration et la maîtrise de la langue française. Enfin, la bonne santé relative du corse ne permet pas de mobiliser les insulaires, encore locuteurs corsophones natifs, en faveur de son enseignement. Ces trois facteurs seront les obstacles majeurs à son intégration au sein du curriculum. L’après guerre ou le temps de l’indifférence Après la seconde guerre mondiale, la Corse rentre dans la période de la « santa cruciata[[3]]». Malgré quelques vaines tentatives de la part des félibres du Muntese en faveur de l’intégration du corse à la loi Deixonne (1951), guère relayées par la classe politique, ce n’est qu’à partir des années soixante-dix et portée par une nouvelle génération moins corsophone mais davantage consciente de la valeur de son patrimoine linguistique que l’enseignement du corse sera toléré. Après 1968, conscientisation et problématisation Le sursaut tardif des années soixante-dix Tandis que l’effervescence de l’ethnic revival gagne l’Europe et l’Amérique, la Corse est animée par un mouvement de réappropriation de sa langue et de sa culture animé par la jeunesse. En 1970, l’obstacle de la norme orthographique[[4]]est surmonté avec la publication de l’ouvrage « Intricciate è cambiarine » de Pasquale Marchetti et Dumenicantone Geronimi. La même année, l’association Scola corsa[[5]] investit les champs pédagogiques[[6]] et revendicatifs. Elle obtient l’intégration du corse au sein de la loi Deixonne dès janvier 1974[[7]]. L’année suivante ont lieu les premières épreuves de langue corse au baccalauréat[[8]]. Au même moment, on assiste à une éclosion de diverses initiatives privées, mais contrairement aux autres régions, la revendication se focalise sur le secteur public et y obtient de meilleurs résultats. La polynomie L’émergence du concept fonctionnel de langue polynomique[[9]] permettra de respecter l’ensemble des variétés de la langue corse tout en évitant le réductionnisme d’une norme unique calquée sur le modèle paroxystique du français. Son appropriation par les chercheurs insulaires[[10]] sera consacrée par le CAPES de LCC[[11]] qui établit qu’« aucune variété linguistique ne sera privilégiée par le jury ». Revendication et procrastination Essentiellement portée par les courants autonomistes et nationalistes, la revendication va certes participer à la prise de conscience par les Corses de leur patrimoine linguistique mais l’écueil idéologique, encore vivace, va contribuer à faire de la langue une question non seulement politique mais partisane. Malgré les réticences d’une partie de la classe politique traditionnelle, en 1983, les élus de l’Assemblée de Corse votent à l’unanimité en faveur du bilinguisme, de la maternelle à l’Université. Ils se heurtent néanmoins à la fin de non recevoir du Premier Ministre Pierre Mauroy. À la suite de ce désaveu, l’Assemblée de Corse fera preuve de pusillanimité au sujet de la question linguistique. Le rapport Arrighi de Casanova de juillet 1988 sera cependant suivi d’effets. Quant au statut Joxe de 1991, il permet à la Collectivité Territoriale de Corse d’élaborer un « Plan de développement de la langue corse ». Il faudra néanmoins attendre près de huit ans, jusqu’au 29 avril 1999 pour que le premier soit voté. La revendication[[12]]achoppera par ailleurs sur le refus[[13]] du Conseil Constitutionnel [[14]] de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires[[15]]. En matière de langue corse, la procrastination prendra valeur de principe d’(in)action, éludant ainsi une véritable question politique interrogeant les valeurs fondatrices du pacte social. En 2005, le vide juridique laissé par l’abrogation de la loi Deixonne[[16]] est comblé par la loi d’orientation Fillon sur l’éducation qui supprime la distinction langue vivante/langue régionale. Ce n’est que cette année là que la CTC[[17]] prend l’initiative d’ouvrir la politique linguistique à d’autres secteurs que l’éducation et les médias. Elle s’engage alors dans la production, avec l’aide de spécialistes, d’un « Plan stratégique d’aménagement et de développement linguistique pour la langue corse »[[18]] voté en 2007. Le volet « Lingua è cultura corsa »[[19] du PRDF[[20]] s’inscrit dans cette politique globale. L’enseignement supérieur Une entrée discrète mais par le haut En dépit de la non-intégration du corse au dispositif ouvert par la loi Deixonne, le corse est entré par le haut du système éducatif. Un Centre d’études corses[[21]] circonscrit au troisième cycle est installé à la Faculté des Lettres d’Aix, en 1957, par Paulu Arrighi. Les événements de mai 1968 participent au déblocage de la situation. Dès la rentrée, un certificat de Langue, lettre et civilisation corses sera créé, avant que les Universités de Nice et Paris III n’ouvrent une UV pluridisciplinaire. La filière « Studii corsi » La réouverture[[22]] de l’Université de Corse[[23]] en 1981 permet la création d’une filière d’Etudes corses ouvrant droit aux diplômes de niveau licence[[24]] , master[[25]] et doctorat[[26]], ainsi qu’une section Cultures et langues régionales[[27]]au Conseil National des Universités[[28]] . C’est de cette filière que sont issus la plupart des 120 professeurs de Langue et Culture Corses. La création d’un Centre de Recherches Corses, en 1983, dans les locaux du Palazzu Naziunale [[29]] permit une amplification des travaux menés précédemment par les clercs P. Arrighi, A. Albitreccia ou bien encore F. Ettori qui fut le maître des chercheurs issus de la génération des années soixante-dix. La recherche, entièrement labellisée CNRS depuis 2008, est regroupée au sein de l’UMR Lieux Identités eSpaces Activités 6240[[30]]. Une Equipe de Recherche Technologique en Education : Curriculum et Identités dans l’Espace Européen travaille plus particulièrement sur le bilinguisme. L’Université a organisé deux colloques sur l’enseignement bilingue en 2004 et 2005, en collaboration avec les enseignants du primaire de l’association À Scioglilingua. Elle compte aujourd’hui sept maîtres de conférences et cinq professeurs des universités en Cultures et langues régionales. Un certificat de langue corse pour l’enseignement supérieur Seule institution du système éducatif où le suivi des cours de corse est obligatoire pour les étudiants, l’Université dispose de huit certifiés affectés à l’enseignement pour non-spécialistes. Ces derniers reçoivent un enseignement de 24 heures par année de licence. La passation facultative d’un certificat de langue corse pour l’enseignement supérieur[[31]] , élaboré sur le modèle du CLES[[32]] et de niveau B1 ou B2 selon les principes du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues[[33]], sanctionne le niveau des étudiants à l’issue de leurs études. Cette « certification[[34]] de l'Éducation nationale adaptée aux besoins de la société et notamment du monde professionnel » est également offerte par le GRETA. C’est néanmoins pour un motif de discrimination que l’ANPE a refusé en 2008 de publier une offre d’emploi pour une secrétaire avec la mention « corsophone souhaité[[35]] ». La reconnaissance de la compétence linguistique se heurte en effet à l’analogie, par certains pouvoirs publics, entre la corsophonie et l’origine corse. Cette praxis de la langue conduit non pas à une normalisation à la catalane de la question linguistique mais à son ethnicisation. L’enseignement secondaire Un CAPES monovalent Dans le secondaire, le boycott du CAPES bivalent et la pression politique conduisent à la création d’un concours monovalent par l’arrêté du 16 juillet 1990[[36]]url:http://www.corse.fr/linguacorsa/admin/page/#_ftn36 . On dénombre aujourd’hui 120 certifiés. La circulaire Bayrou du 7 avril 1995 permet une évolution qualitative en faisant évoluer l’enseignement de une à trois heures hebdomadaires et officialise la création de filières bilingues. Des effectifs très variables D’un point de vue plus quantitatif, c’est une circulaire du Recteur Jacques Pantaloni qui va avoir un impact considérable sur l’enseignement du corse dans le second degré. Depuis 1999, l’inscription des élèves de 6e en cours de LCC est automatique. Après une période d’essai, il revient aux parents d’effectuer la démarche afin de retirer le collégien du cours de LCC. On constate cependant aujourd’hui que les effectifs diminuent à chaque palier, passant d’environ 70% en 6e à 17% en terminale[[37]] , malgré le prix Andria Fazi[[38]]. En 2008[[39]], 39,75% des élèves du secondaire suivent un enseignement du corse. Environ 50% d’entre eux sont en 6e ou en 5e. Presque 15 ans après la parution de la circulaire Bayrou, ils ne sont que 7,19% à suivre un enseignement en classe bilingue ou en section méditerranéenne. Seul le bassin du lycée de Balagne dispose d’une filière bilingue complète allant de la maternelle au baccalauréat. Missions et limites de l’école Malgré quelques réussites, l’incapacité du système éducatif à produire des corsophones conduit une frange de l’opinion à en rejeter la responsabilité de façon exclusive sur les « profs de corse »[[40]]. Cette représentation analogique erronée entre le statut des langues et la qualité des enseignants témoigne de la persistance de rapports diglossiques entre le corse et le français. Si l’on devait comparer ces railleries aux antiennes plaintives au sujet des résultats des élèves en orthographe française, la critique des enseignants de lettres apparaitrait bien mince au regard de la culpabilisation des élèves et de la recherche d’une pédagogie[[41]] efficace. Enfin, il apparait qu’en l’état actuel du dispositif et des ressources offertes aux jeunes générations, l’école ne peut à elle seule transmettre le corse et accroitre le nombre de corsophones. L’enseignement primaire Un dispositif institutionnel plus avancé Au primaire, les circulaires Savary, publiées en 1982, marquent une inflexion qualitative par rapport au dispositif initial de la loi Deixonne. En 1985, les expériences du corse intégré préfigurent le futur enseignement bilingue à parité horaire. Les premiers sites sont officiellement ouverts en 1996, après la publication des circulaires Bayrou[[42]]. Par la suite, les circulaires Lang et l’article 7 de la loi sur la Corse du 22 janvier 2002 vont donner une impulsion nouvelle à l’enseignement extensif et à l’enseignement bilingue en créant un concours spécifique de recrutement[[43]] , une habilitation à enseigner le corse[[44]] et en rendant l’offre du corse obligatoire pour l’Etat. Son inscription dans chaque emploi du temps doit être vérifiée par l’inspecteur de circonscription mais l’enseignement par immersion[[45]] est invalidé par le Conseil d’Etat suite à un recours déposé par la FCPE, la Fédération des délégués départementaux de l'éducation nationale, la Ligue de l'enseignement, les syndicats d'enseignants SE-UNSA et SNES-FSU. Les outils didactiques Si l’enseignement bilingue constitue bel et bien un projet utilisant les méthodes didactiques les plus innovantes, dans le cadre prescrit par les programmes officiels[[46]] , elle s’appuie également sur la production du CRDP[[47]] . Depuis 1978[[48]] , il a produit environ 140 documents. Le développement de l’enseignement bilingue le contraint à produire des ressources pédagogiques dans toutes les disciplines en langue corse. Dès lors, faut-il traduire les manuels nationaux en excluant toute référence à la Corse, faut-il y adjoindre un ouvrage en supplément, ou faut-il produire des manuels qui ne se contenteraient pas seulement d’intégrer la particularité linguistique du contexte insulaire ? C’est face à ce choix que son confrontés les producteurs d’ouvrages. Enseignement bilingue versus enseignement standard L’enseignement du corse se répartit en fonction de deux grands cas de figure. Nous trouvons d’une part l’enseignement bilingue[[49]] à parité horaire qui accueille environ 20% des élèves de l’Académie et l’enseignement extensif, dispensé aux autres élèves, sous réserve néanmoins de l’accord des parents. Une analyse quantitative laisse entrevoir de grandes disparités. Si seulement 2% des élèves ne reçoivent pas d’enseignement du corse pour l’année scolaire 2008-2009, ils ne sont que 47% à recevoir un enseignement égal ou supérieur aux 3 heures hebdomadaires prescrites par les instructions officielles. Les trois centres d’immersion de Bastia, L’Oretu et de Savaghju permettent aux écoliers d’effectuer des séjours allant d’une journée à une semaine.
L’enseignement au défi du management La croissance de l’offre se heurte à un grave problème de ressources humaines. À titre d’exemple, pour la rentrée 2009, la filière bilingue de l’école de Bonifaziu ne comptera aucun enseignant bilingue. Dans l’enseignement extensif, le recours à des intervenants au statut précaire et peu formés, pour pallier le déficit de compétences et parfois de volonté de certains enseignants, est une solution provisoire depuis la rentrée 2001 et semble se pérenniser en l’absence d’alternative envisagée par les décideurs. La création d’un concours spécifique ainsi que les moyens alloués à la formation continue, au sein du plan académique du second degré (PAF) et des plans départementaux du premier degré (PDF) ne permettent pas d’accroitre le nombre d’enseignants corsophones et habilités. Une note de l’Inspecteur d’Académie de Haute-Corse datant de mars 2007[[50]] relève que : « le nombre de maîtres déclarant ne pas pouvoir enseigner le corse est passé de 27% en 2000 à 38% en 2005 ». Les premiers sites bilingues, implantés en milieu rural ou défavorisé, par des équipes pédagogiques dynamiques, voire même militantes, agissaient au sein d’un processus de structuration bottom-up tandis qu’aujourd’hui, l’implantation d’un site bilingue, relève d’abord d’une planification top-down susceptible de heurter certains enseignants non-corsophones inquiets de voir disparaitre leur poste au cas où la filière bilingue deviendrait trop attractive et provoquerait un déséquilibre entre les effectifs. L’identité professionnelle des enseignants est réinterrogée par leurs pratiques et leur rapport à la langue corse. Certains souhaiteraient bénéficier d’une plus grande formation tandis que d’autres se drapent dans leurs habits corporatistes et se refusent à envisager, tantôt par idéologie, tantôt par convenance personnelle, une évolution de leur pratique vers l’enseignement bilingue. Dans la plupart des cas, c’est l’absence de gratification ou de reconnaissance de l’investissement que requiert l’enseignement bilingue qui décourage les enseignants. La situation semble cependant évoluer du fait du fléchage de nombreux postes bilingues. La mobilité horizontale des enseignants aura pour préalable l’habilitation en langue corse. Encore faudra-t-il s’enquérir des pratiques effectives et de la place que l’évaluation leur sera accordée par les corps d’inspection. L’enseignement bilingue, entre élitisme et évitement Par ailleurs, la création de filières bilingues au sein de grandes écoles et de sites en milieu urbain modifient considérablement les relations école-familles. C’est dans ce contexte que la CTC a publié un livret d’information[[51]] à l’attention des parents. La filiarisation et la désectorisation permettent aux familles de choisir l’école ou la filière de scolarisation de leur enfant. Cependant, la prégnance des idéologies linguistiques est telle que les enseignants se croient parfois obligés de « rassurer » les familles en expliquant que contrairement aux instructions officielles[[52]], l’enseignement bilingue se limitera à trois heures hebdomadaires. Paradoxalement, c’est souvent parce que le curriculum de la « filière bilingue » ressemble en tous points à la filière standard, et dans le dire et dans le faire, qu’elle attire les familles. Plus que par le curriculum réel ou formel, il semblerait qu’elles soient motivées par les délices du curriculum caché. Si ce genre de stratégies d’évitement n’est pas propre à l’enseignement bilingue, elle interroge cependant les finalités que la société entend donner au bilinguisme scolaire. Autre point noir, lorsque la demande est supérieure à l’offre, la méthode de choix des élèves est soumise à la discrétion du directeur qui pratique le « tirage au sort » lorsqu’il ne s’inscrit pas dans une logique de « premier arrivé, premier servi », quand ce n’est pas lui-même qui décide de la composition des filières. S’agit-il alors de créer un système dualiste de type primaire/secondaire, discriminant de facto les enfants selon leur origine sociale et/ou ethnique ? À titre d’exemple, pour l’année scolaire 2007-2008, les écoles de Corti et L’Isula accueillaient 3,3% et 1,9% d’élèves dont la mère est de nationalité étrangère dans la filière bilingue contre 8,1% et 22,4% pour les filières standards. Rappelons ici que selon l’INSEE[[53]], la Corse est la cinquième région française en matière de population immigrée. Dans ce contexte particulier, la filiarisation dès l’école maternelle, comporte comme corollaire l’ethnicisation des rapports scolaires et le risque de les voir se transposer à l’ensemble de la société. Si l’Ecole à elle seule s’avère incapable d’ériger le corse en tant que langue de communication courante, il serait au moins souhaitable qu’elle en fasse la langue d’identification de l’ensemble des jeunes générations, de façon à participer non pas à la fragmentation sociale et ethnique du corps social mais à sa plus grande cohésion.
Le modèle éducatif empirique proposé aujourd’hui par l’enseignement bi/plurilingue oscille entre le modèle de l’intérêt général et un modèle marchant plus axé sur le libre choix des familles et la concurrence inter ou intra-établissements. Cet enjeu apparemment linguistique et éducatif entre une tentation élitiste et une orientation plus équitable vers l’excellence nous rappelle à l’urgence d’une réponse politique qui dépasse l’incantation ou le simple affichage. Dans le cas contraire, selon Alain di Meglio[[54]], « l’hypothèse d’une hypocrisie politique n’est pas totalement levée ».
Bilan L’enseignement de la langue corse a permis une relative disparition du stigmate afférant à la langue corse. Cependant, en vertu de son statut facultatif, la discipline LCC demeure au bas de l’échelle des disciplines. La principale limite du dispositif actuel réside dans le principe de volontariat des maîtres et des familles. Paradoxalement, après avoir développé un appareil critique de l’école républicaine qui n’octroyait que peu de place aux langues régionales, la revendication linguistique semble avoir trop cru en l’école tant et si bien que selon Jean-Marie Comiti, la langue corse serait victime du « syndrome du bocal ». Enfermé dans le ghetto scolaire, elle ne parviendrait pas à s’établir en tant que discipline socialement utile et en l’absence de coofficialité, elle perdrait peu à peu sa qualité de langue vivante dans la société. Elle se heurte moins qu’auparavant à des oppositions clairement idéologiques mais l’indécision demeurant quant au choix des valeurs fondatrices de la citoyenneté, apparait comme un obstacle à sa normalisation dans l’enseignement. On constate ainsi de grandes disparités dans la qualité de l’offre et l’affichage quantitatif parfois teinté de « langue de bois » de la part de l’Education Nationale ne permet pas une appréhension fine de la complexité de la réalité. La massification de l’enseignement extensif[[55]] mais plus encore, l’offre d’un enseignement bilingue a atteint un tel seuil que l’on assiste aujourd’hui à des effets pervers analysés par la sociologie de l’éducation. Il s’agit aujourd’hui de concilier l’innovation pédagogique promise par l’enseignement bi/plurilingue avec les impératifs de justice et d’équité prescrits par les principes politiques des démocraties libérales.
Enseignement de la langue corse 2008-2009 rentrée 2006 rentrée 2007 rentrée 2008 Nombre d’élèves qui ont suivi un enseignement du corse 31 141 31 550 32 245 Dans le cadre de l’enseignement bilingue 4 599 5 155 6 495 Dans le cadre de l’enseignement de la langue corse comme discipline 26 542 26 395 25 750
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[[2]] Le 16 prairial an II (1794), est présenté à la Convention le « Rapport sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française », rédigé par l'abbé Grégoire. On y lit notamment : « On peut uniformiser le langage d'une grande nation, de manière que tous les citoyens qui la composent puissent sans obstacle se communiquer leurs pensées. Cette entreprise, qui ne fut pleinement exécutée chez aucun peuple, est digne du peuple français. » Le 16 prairial an II (1794), est présenté à la Convention le Rapport sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française, rédigé par l'abbé Grégoire. On y lit notamment : « On peut uniformiser le langage d'une grande nation, de manière que tous les citoyens qui la composent puissent sans obstacle se communiquer leurs pensées. Cette entreprise, qui ne fut pleinement exécutée chez aucun peuple, est digne du peuple français. »
[[3]] Tda : « sainte croisade », in Fernand Ettori., 1981, « Le sursaut d’une culture menacée », in Mémorial des Corses, Cyrnos et Méditerranée, p.339.
[[5]] Ecole corse
[[7]] Décret n° 74-33 du 16 janvier 1974
[[9]] Jean-Baptiste Marcellesi a proposé ce concept en 1983 au XVIIème congrès des romanistes à Aix-en-Provence: « langues dont l'unité est abstraite et résulte d'un mouvement dialectique et non de la simple ossification d'une norme unique, et dont 1'existence est fondée sur la décision massive de ceux qui la parlent de lui donner un nom particulier et de la déclarer autonome des autres langues reconnues ».
[[16]] Ordonnance du 15 juin 2000.
[[23]] http://univ-corse.fr
[[29]] C’est dans ce même bâtiment que se réunissait le gouvernement de Pasquale Paoli.
[[30]] http://umrlisa.univ-corse.fr
[[34]] http://certificatu.fr
[[40]] http://www.wmaker.net/apiazzetta/I-Mantini,-i-mendiants-e-i-carnavali-di-a-tradizione_a332.html
[[43]] En 2009, 50% des postes sont réservés au concours spécifique
[[45]] arrêté du 31-7-2001, circulaire 2001-168 du 5-9-2001, arrêté du 19-4-2002, circulaire 2002-103 du 30-4-2002
[[54]] « on a du mal aujourd’hui à évaluer l’état réel du chantier pédagogique : quelle est la pratique de ces jeunes maîtres issus du concours ? La langue corse peut-elle servir de cheval de Troie pour une réussite moins concurrencée aux concours de recrutement ? Comment mesurer la véritable motivation des nouveaux habilités qui visent parfois le statut de maître bilingue afin de se donner une mobilité plus sûre ? La mise en place de cursus différents (systèmes standard/bilingue) a-t-elle des effets cachés ? Y a-t-il une obligation à honorer son statut bilingue de façon pérenne ? Parmi toutes les questions, la plus lancinante s’adresse directement à l’efficacité du système : pourquoi, avec de tels moyens, l’école ne produit-elle pas de corsophones ? » Di Meglio A., 2009, « La langue corse dans l’enseignement : données objectives et sens sociétal », In Trema, (à paraitre).
[[55]] Cf Tableau ci-dessous
Certificatu di lingua corsa