"Futur du travail : Nos institutions se doivent d'anticiper"


Discours du Président de l'Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni en ouverture de la table ronde sur le futur du travail, le vendredi 12 octobre à Aiacciu



Salute à tutte, salute à tutti,
Sò propiu felice d’accoglie i giovani di i licei Jules ANTONINI è FESCH d’Aiacciu cù i so prufessori. Tengu à ringrazià a Rettrice di Corsica chì hà permessu a vostra participazione. U « Futuru di u travagliu », ci reflettimu inseme oghje è dumane, ognunu u camperà à modu soiu. A manera chè vo averete di participà à st’evuluzione conta quant’è l’evuluzione tennulogiche elle stesse. L’idea chè vo vi fate di u vostru avvene, a vostra fiduccia in voi stessi preme quant’è tutte l’analise di l’ecunumisti.
Je souhaite remercier en second lieu, tous ceux qui nous font le plaisir d’être présents aujourd’hui : la Vice-Présidente de l'Assemblée de Corse, le représentant du Président du Conseil exécutif, le Président de l'ADEC, le Président du CESEC, les représentants de l'Assemblea di a giuventù et les élus de l'Assemblée de Corse. Cela prouve que le sujet est au cœur des préoccupations de la société, ce qui nous encourage à poursuivre ce que nous avons initié à l’Assemblée de Corse. En effet, en ce qui nous concerne, nous avons voulu, dès l’origine, placer les questions de la justice sociale et de l’éducation au centre de notre action politique.
Je remercie également le Président MARCAGGI et le personnel du Palais des congrès pour leur accueil et leur professionnalisme.
Enfin, je tiens à remercier chaleureusement les contributeurs, qui, chacun dans leur domaine, sont des spécialistes reconnus. Ils nous font l’amitié de venir nous éclairer aujourd’hui, comme ils nous font l’honneur d’enrichir les travaux des deux commissions que l’Assemblée de Corse a mises en place.

En effet, éprise de réalisme et en prise avec la réalité, consciente des enjeux et des défis, afin d’anticiper l’avenir et formuler des solutions notamment dans le domaine social et de l’emploi, l’Assemblée de Corse a décidé de mener une réflexion à travers deux commissions ad hoc : l’une chargée d’étudier la possibilité d’expérimenter un revenu de base et plus généralement l’amélioration des aides sociales ; l’autre chargée de promouvoir le retour à l’emploi par la démarche « Territoire zéro chômeur de longue durée ». Dans les compétences d’une assemblée délibérante, il y a la gestion courante des dossiers qui concernent le quotidien des Corses mais il y a aussi la prospective et l’anticipation. Une mission parlementaire du Sénat a, par exemple, déposé en 2016 un rapport sur le revenu de base. L’Assemblée de Corse a donc elle aussi le devoir de faire de la prospective. La politique ce n’est pas seulement la gestion des affaires courantes qui défilent aux informations ou sur les réseaux sociaux, c’est l’anticipation des phénomènes de fond, c’est la transmission de la maison commune aux prochaines générations. Que cette journée en soit le témoignage et une modeste contribution. 

Les îles, dont nous sommes, sont moins insulaires aujourd’hui qu’elles ne l’étaient hier. La Corse est de plus en plus connectée et reliée au monde. Elle doit pouvoir choisir ses liens privilégiés avec l’extérieur. Elle n’échappe depuis longtemps à aucun phénomène d’ampleur et si le ressenti du ressac des crises nous parvient encore avec un léger décalage, celui-ci n’a de cesse de se réduire. La Corse n’est pas seulement sujette aux variations du monde. C’est un acteur à part entière.
Partout, les « territoires » jouent désormais un rôle majeur à l’échelle internationale, dans les sociétés et leur développement. Celui-ci n’est plus la compétence exclusive des Etats. Forts des dynamiques de développement, les « territoires » alimentent le processus de développement durable et sont, à ce titre, au cœur des enjeux environnementaux, sociaux et économiques.
Cette semaine, vous avez pu entendre de nombreuses réactions suite à la publication du dernier rapport du GIEC sur le changement climatique. Il n’y a pas de solution simple, unique, universelle. Chacun doit trouver en soi ses propres solutions afin de diminuer son impact carbone. Personne ne pourra résoudre tout seul le défi climatique mais chacun doit d’ores et déjà y contribuer. Il en va de ce défi climatique comme de la révolution numérique et de l’intelligence artificielle, de la démocratie, des inégalités, de l’agriculture, de la démographie, de l’Europe, de l’éducation et d’autres sujets encore. 
Les Corses ont la responsabilité et le devoir de faire de l’anticipation et d’imaginer des scénarios tendanciels, des hypothèses, pour éclairer les décisions, en acceptant évidemment une part d’aléas. C’est un tournant fondamental dans la conception même du rôle de nos institutions, lesquelles se doivent d’anticiper et de prendre en compte les évolutions probables – ou simplement possibles – notamment en matière d’emploi ou de lutte contre la pollution, la précarité ou les inégalités.
Les bouleversements annoncés de la technologie, du numérique et de l’intelligence artificielle, devraient conduire l’Humanité dans des champs jusqu’ici inexplorés. Notre propos aujourd’hui n’est pas d’ajouter une inquiétude, mais au contraire de proposer de prendre en main notre futur en conscience, de manière lucide, constructive et positive, en ayant confiance en ce que nous sommes collectivement.

Certes, les prévisions sont parfois alarmistes depuis les conclusions du rapport « Frey et Osborne » de l’Université d’Oxford, publié en 2013, qui projetait la destruction de 47% des emplois actuels à l’horizon de vingt ans. Les conclusions de ce rapport prêtent toujours à critiques et à vrai dire, personne ne peut dire quelle proportion d’emplois seront détruits ou pas.
Nous avons cependant une certitude : le travail va être profondément bouleversé. De nombreuses interrogations se posent dès à présent sur les types d’emplois qui évolueront ou qui se développeront, sur les rémunérations, sur les formations tout au long de la vie car une carrière sera faite de plusieurs emplois. La révolution numérique remet en question les conditions de travail, les modes d’encadrement, le salariat, les droits sociaux ou le rapport à la machine.
Au début de la révolution numérique, d’aucuns pensaient que seuls les métiers répétitifs, manuels ou peu qualifiés seraient touchés. Or nous savons désormais que tous les métiers seront concernés.
Nous n’allons pas ici lire dans une boule de cristal, mais tenter d’aiguiser notre regard pour trouver des solutions aux problèmes posés par ces transitions qui sont nombreuses. Elles sont économiques et numériques mais aussi climatiques, écologiques, financières, démographiques avec le vieillissement et la migration, culturelles également, cela va de soi.
Je me permettrai d’ajouter à cette liste déjà longue, la transition psychologique et anthropologique, tant ces transformations vont profondément influencer nos comportements. Par exemple, le fait de changer plusieurs fois de travail nécessitera une plus grande souplesse d’adaptation.
Les grandes lignes se dessinent et les dynamiques se mettent progressivement en place. Il n’appartient qu’à nous, en particulier aux pouvoirs publics, de faire des choix. Nous devons donc imaginer les impacts des décisions que nous prenons aujourd’hui. C’est précisément le but et l’intérêt de la prospective.
Je ne prendrais qu’un seul exemple : celui de la santé. On annonce des applications qui feront des diagnostics en temps réel et qui prescriront les traitements à la place des personnels de santé. Nous sommes à la croisée des chemins avec deux attitudes possibles : soit nous laissons faire les applications et les robots qui tueront rapidement les emplois et les compétences, soit nous considérons ces robots et ces applications comme une aide aux professionnels de santé, qui seront formés à leur utilisation afin d’améliorer les soins.
C’est là tout l’enjeu de cette transition globale : soit nous la subissons, soit nous l’utilisons à notre avantage au service de l’intérêt public. Et dans ce second cas de figure, nous n’avons pas d’inquiétude à avoir si nous maîtrisons nos orientations.

La Corse suivra sans nul doute l’évolution mondiale, au sein de laquelle elle pourra faire valoir de réels atouts : sa jeunesse, bien sûr, ses richesses culturelles, naturelles et environnementales. Le système éducatif et les acteurs de la formation tout au long de la vie devront vraisemblablement mieux s’adapter aux enjeux. Mais en tout état de cause, je suis convaincu que les Corses, dans leur ensemble, pourront tirer profit de cette évolution.
J’en aurai terminé en vous disant que cette table ronde doit être vue comme un moment d’une démarche qui a vocation à se poursuivre dans vos discussions, dans nos futurs échanges, au CESEC, à l’Assemblea di a Giuventù, à l’Assemblée de Corse, dans des instances internationales également. Le sujet est vaste.  Nous ne le conclurons pas aujourd’hui.
Cette réunion sera aussi, je le souhaite, une rencontre interactive entre l’Assemblée et la société corse, dans toutes ses composantes. Nous comptons sur vos interventions car le sujet fait partie de ces questions qui nous concernent tous, comme la maîtrise du foncier, la protection de l’environnement, la langue, la culture. C’est ensemble que nous avancerons, car chaque acteur dépend des autres pour créer de nouvelles connaissances et imaginer des solutions innovantes.
Enfin, dans la société interconnectée et interdépendante du XXIe siècle, nous devrons progresser de manière transversale. « Le futur du travail » recouvre de nombreux domaines à traiter en urgence : le travail et les emplois de demain, donc l’éducation et la formation d’aujourd’hui ; les productions de demain, donc les savoir-faire à protéger dès à présent. C’est une mise en perspective sur le développement de la Corse et sur le modèle social que nous souhaitons transmettre aux générations futures.
Pour commencer Laurent GRANDGUILLAUME nous fera part de l’état de ses réflexions sur les nouvelles façons de travailler.
Sébastien SIMONI nous dressera un panorama des révolutions technologiques à venir, sans trop nous effrayer, je l’espère !
Marc de BASQUIAT nous livrera les manières de libérer les énergies au travers de nouvelles formes de rémunérations.
Enfin François-Xavier OLIVEAU nous démontrera qu’un nouveau contrat social est possible, dans les conditions futures.
Je cède la parole à Jean-Paul LUCIANI, qui nous a fait l’amitié de venir à Aiacciu animer ce débat.
Je vous souhaite, je nous souhaite, à tous, de bons travaux !
À ringrazià vi !

Rédigé le Lundi 15 Octobre 2018 modifié le Lundi 15 Octobre 2018

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