Différences, Démocratie, Modernité


discours de la Présidente de l'Assemblée de Corse, prononcé lors de la séance d'installation



Care è cari cunsiglieri à l’Assemblea di Corsica,
O sgiò Deganu,
Cari giuvanotti, Sandra et Don Joseph,
Cari amichi è cullega,
 
Cun tamanta emuzione mi tocca à piglià a parolla di fronte à voi, in ssu primu di lugliu di u 2021, ma stu sintimentu è spartutu da tutti i scalaticci, quale sianu e strade soie, quelle chì l’anu purtati sinu à stu locu è ste stonde sulenne.

Vularia filicità à voi altri tutti chì u votu di i Corsi v’hà permessu d’esse qui oghje, di pudè parlà à nome soiu, in la diversità di le so idee è scelte.

Purtendumi à a prisidenza di st’assemblea, mi fate un onore tamantu chì ne misurgu a fundezza è u pesu à titulu persunale, ma dinò, a simbolica, tantu da u puntu di vista sucetale cà puliticu, chì sò una donna è una eletta naziunalista.

Vi ne vogliu ringrazià di core.

Vogliu ringrazià Gilles Simeoni, capu di lista, è u mo gruppu d’avemmi prupostu per esse a vostra nova presidente.

Vogliu ringrazià a mo famiglia per u so sustegnu, i mo amichi di Corsica è d’altrò, quelli di l’Università.
Vogliu dì à tutti i persunali di l’ATC u piacè ch’aghju avutu à travaglià incun elli è aghju una pensata particulare per Daniel Charavin è Jean-Marie Cotoni, troppu prestu spariti l’annu scorsu.
Vogliu ringrazià u persunale di u Cunsigliu esecutivu, quellu di l’affari aurupei, tutte ste ghjente chì m’anu amparatu u funziunamentu di e nostre istituzione…

Capite bè chì quand’e sò ghjunta quì, sei anni fà, ancu per esse prufessora, avia anc’eiu una pauraccia scema à mezu à tutti sti capimachja di a pulitica corsa.

Ma oghje chì ghjè oghje, in sti mumenti di gioia, ringraziu di sicuru è soprattuttu tutti i Corsi chì anu vutatu per « fà populu inseme », fendu a scumessa ch’ellu ci seria una donna cum’è presidente di st’assemblea.

Ùn mi scordu di tutti quelli chì anu vutatu naziunalistu : un fattu puliticu maiò chì u guvernu francese deve, vulella o ùn vulella, piglià in contu. Ma mancu mi vogliu scurdà di tutti quelli ch’ùn anu micca vutatu per noi, è chì anu vutatu quantunque, fendu di a Corsica u territoriu u più impegnatu inde st’elezzione territuriale incù guasi 60% di participazione, allora chì, altrò, a media ùn avanza i 35%.
A stu puntu aghju una pensata per tutti i prigiuneri pulitichi corsi. Pensu a elli, a e so famiglie e dicu chi indè una demucrazia st’omi devenu vultà in terra corsa, sopratuttu quelli chi anu compiu a so pena.
È ghjè què u secondu fattu puliticu maiò è u missaghju ch’è no mandemu à u mondu : a demucrazia in terra di Pasquale Paoli hè più chè mai viva è putente ! È quessa, ghjè una ricchezza maiò chì ci deve dà speranza è fede per l’avvene.

Un terzu fattu puliticu chì cambia una cria l’andatura di e cose, ghjè forse chì u presidente di l’assemblea, per sta volta, serà una presidente ! Ùn a dicu micca perchè chi sò eiu. Nemancu perchè ch’ellu hè qualcosa d’eccezziunale : ci hè donne à u putere inde tutti i paesi di u mondu. Ma in Corsica, sta pruposta, nisun’ partitu puliticu ùn l’hà mai fatta prima di stu ghjornu.

A sapemu purtroppu (1), simu stati belli in avanzu postu chì, à u XVIIIu seculu, Pasquale Paoli avia previstu di fà vutà e donne capi di famiglia. È chì Edmond Simeoni avia assai fede inde l’impegnu di e donne inde à vita publica è e respunsabilità pulitiche.

Chaque président a sa personnalité liée à son parcours personnel, familial, professionnel ou politique…
Rappeler le nom de mes prédécesseurs, c’est non seulement une marque de respect à leur égard mais aussi contribuer à la mémoire collective de nos institutions, relever leur singularité.
- Ceux qui ne sont plus là : Prosper Alfonsi et Jean-Paul de Rocca Serra qu’adolescente j’eus l’honneur et le plaisir de rencontrer.
- Ceux avec lesquels ma génération d’étudiants a ferraillé parfois, avec lesquels j’ai débattu plus tard lorsque je suis devenue universitaire : José Rossi, Camille de Rocca Serra, Dominique Bucchini.
- Et puis celui de ma génération, le président sortant Jean-Guy Talamoni, premier président nationaliste de cette assemblée.
Chacun a laissé sa marque, imprimé son sceau, manifestant ainsi l’expression de sa personnalité et de sa singularité. Ils étaient tous très différents les uns des autres.

Alors oui, à l’inventaire politique de notre institution, il faudra inscrire désormais une différence de plus, celle du genre …

Je reçois de sympathiques messages depuis hier à ce sujet et j’en profite pour remercier tous ces soutiens. Mais sachez que la question de genre comme celle de la couleur de peau, de l’appartenance ethnique, de l’origine sociale, de la confession… ne me posent aucun problème. Donna sò è donna stò ! Ùn vale à fanne un cuncistoriu.

C’est la singularité de chaque être qui m’importe, c’est sa contribution par ses compétences – quelles qu’elles soient - à un dessein collectif qui compte, et c’est la défense de sa liberté en tant qu’individu qui me tient à coeur.

L’essentiel, dans ce mandat que vous me confiez, c’est le pouvoir qu’un président ou qu’une présidente peut déployer pour faire de cet hémicycle le lieu de la représentation démocratique du peuple corse, le réceptacle mais aussi la caisse de résonance de ses aspirations profondes.

La question n’est pas de savoir s’il vaut mieux qu’un homme ou une femme préside cette assemblée. L’important est que nous soyons chacun d’entre nous à la hauteur des mandats qui nous ont été ou qui nous seront donnés.
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Dans la Grèce antique et la Méditerranée ancienne, la démocratie a toujours impliqué la reconnaissance de la diversité des idées et des catégories sociales, même si elle n’avait pas grand-chose à voir avec notre conception de l’égalité.

Mais, il faut des liens pour tenir ensemble des choses diverses : la démocratie répond à la division par la concorde. C’est la force d’une unité plurielle qui s’oppose au pouvoir autocratique, aristocratique, monarchique ou oligarchique…

Donc la démocratie c’est tout… sauf l’hégémonie !
Societas en latin - Faire société, c’est la même chose que démocratie en grec : c’est reconnaître à chaque individu le statut de citoyen, et proclamer tous les citoyens libres et égaux en droit. C’est ce qui n’abolit pas les différences, mais au contraire les protège en leur accordant droit de cité : une société n’est viable que si elle est constituée d’une multitude de différences qui sont capables de s’accorder.
Il ne peut pas y avoir d’uniformité dans l’identité démocratique car chaque individu est autre. Le principe même d’autonomie (ou droit des peuples à disposer d’eux-mêmes) implique la reconnaissance de l’altérité comme principe démocratique.
Sur le même principe, la démocratie est le seul modèle social qui admette la diversité des opinions et donc la contradiction, c’est-à-dire le débat. Les assemblées des sociétés modernes sont héritières de l’agora athénienne et du forum romain : ce ne sont pas des instances de décision, où seuls les “décideurs” auraient le droit d’entrer, mais des lieux de débat ouverts à tous. Et de cela je veux être la garante.
Le principe fondateur des sociétés est aussi ce qui leur permet de durer : la concorde et la paix. Souhaiter à autrui pace è salute, comme nous le faisons tous en Corse, est la trace vive de cette conception ancienne d’un lien profond entre la paix et la santé : la santé physique, économique et mentale des sociétés - comme des individus - dépend aussi de leur aptitude à respecter l’autre.
Pour les anciens philosophes qui ont inventé la politique (mot qui nomme en grec le principe de citoyenneté(2)) ce qui pousse les hommes à vivre ensemble et les oblige à s’accorder, c’est qu’ils recherchent le bonheur, car il n’y a pas de bonheur possible sans concorde et harmonie.

Le Contrat social de Rousseau est une des actualisations les plus justes et les plus fidèles des principes démocratiques anciens : il est fondé sur l’équilibre d’un système complexe qui, pour être durable, suppose la tolérance et le partage. C’est ce qui fonde aussi la constitution de Pascal Paoli, qui a été éduqué à Naples par des philosophes héritiers de ces anciennes traditions démocratiques qui avaient fait de l’inclusion un principe de justice sociale.
Il y a une forme d’écologie de l’esprit dans le système démocratique, dans la mesure où il n’impose aucun nivellement mais intègre le maximum de diversité sociale : plus une société est mêlée, plus elle admet d’échanges et de diversification dans les relations humaines, les métiers et les modes de vie, plus elle échappe aux centralismes et aux dogmatismes qui stérilisent à la fois les esprits et la vie sociale en imposant une pensée unique.
Enfin, la démocratie est nécessairement participative, chaque citoyen a droit à la parole et mérite d’être écouté en tant que faisant partie d’un ensemble dont la cohésion dépend de la conscience que chacun peut avoir de sa responsabilité envers la collectivité au sens large, de ses droits et de ses devoirs.
La crise de conscience collective révélée par la pandémie et le faible taux de participation aux élections territoriales et départementales en France sont révélateurs d’une méconnaissance des principes fondateurs de la démocratie. Cette connaissance serait d’un apport certain pour assainir la vie politique, redonner sens à la citoyenneté, à l’engagement pour le collectif… pour retrouver ce qui nous est commun et restaurer le lien social en ces périodes de doute, de perte de repères voire de détresse pour certains.
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Et les défis de cette mandature sont majeurs :

- Le défi économique et social d’abord : il y a un impératif de redressement de notre économie après la crise sanitaire que nous avons vécue, et vous connaissez mon engagement sur ce front au cours de l’année écoulée. J’y mettrai avec vous toute mon énergie dans le respect des compétences du Conseil exécutif. Des milliers de Corses souffrent. Les fractures sociales sont de plus en plus fortes. Une démocratie moderne ne peut se satisfaire de cela au regard des principes évoqués précédemment.

- La jeunesse en particulier doit faire l’objet d’une attention soutenue. Les jeunes sont fragilisés par la crise et sont devenus des proies faciles pour toutes formes de soumission et d’aliénation. Et je sais que le Conseil exécutif de Corse, sortant et à venir, y est très attaché et la présence dans cet hémicycle de nombreux jeunes est de très bon augure car, comme je l’évoquais précédemment, l’exercice démocratique permet aussi la transmission intergénérationnelle. Il y a environ 100 000 jeunes en Corse, et parmi eux bien trop nombreux sont ceux qui n’ont aucune formation. La faiblesse du capital humain fait peser des risques économiques, démocratiques et sociaux trop sous-estimés jusqu’à présent.

- Le défi environnemental ensuite : le changement climatique et ses conséquences économiques et sociales est l’enjeu planétaire des 20 prochaines années. Pour notre territoire insulaire et méditerranéen à dominante touristique et agricole, c’est une question de survie.
L’écoresponsabilité doit être au coeur de toutes nos politiques qui doivent être préventives et non curatives.

- Le défi technologique et numérique : tant dans les infrastructures que dans les usages, notre transition numérique doit avoir lieu. La recherche, son transfert technologique et le numérique doivent être au centre de la transformation post COVID de notre économie et de notre société, y compris de notre institution.

- Le défi européen et international enfin : il ne s’agit pas de prôner de manière simpliste une ouverture européenne et internationale mais de faire en sorte que chacune des politiques de la Collectivité intègre cette dimension européenne et internationale. La crise a modifié la donne géopolitique et les hiérarchies des nations et des régions bougent. Nous, insulaires, soumis aux forces du marché, aux crises sanitaires, à la raréfaction des ressources naturelles et aux pollutions environnementales, devons impérativement nous insérer, comme nous l’avons déjà fait avec le Président Simeoni, dans des réseaux d’échanges et de solidarité avec d’autres peuples partageant les mêmes contraintes. C’est une nécessité absolue, économique, sociale, politique, tout autant que scientifique et culturelle. Sur le front européen, vous connaissez aussi mon engagement. Je veux le partager avec vous et avec les jeunes Corses, et la Conférence sur l’avenir de l’Europe qui est actuellement en cours, comme la Présidence française de l’Union européenne au premier semestre 2022, sont l’occasion de réaffirmer notre attachement européen et de renforcer notre pouvoir d’influence pour que les îles de Méditerranée puissent bénéficier d’une clause spécifique dans les politiques de l’Union.
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Alors, quelle sera donc ma méthode ?

Je voudrais poser devant vous trois prérequis :

1. Le respect du pluralisme politique de cette assemblée et le respect de l’opposition : c’est une évidence mais je veux aller plus loin, et j’échangerai dans ce sens avec le président de l’exécutif … Dans cette perspective, un dialogue permanent avec les responsables politiques qui n’ont pu être élus me paraît être un impératif démocratique ;

2. Une articulation rénovée avec le Conseil exécutif de Corse : faire respecter les prérogatives de l’Assemblée de Corse tout en respectant celles de l’exécutif. Jouer pleinement de nos complémentarités dans un souci d’efficacité dans la production des politiques publiques.

3. La qualité des débats qui exige le respect de l’autre, et l’écoute mutuelle.


Sur ces bases claires, une modernisation de notre fonctionnement peut être envisagée et je tiens à saluer le travail du président Talamoni, qui a donné une impulsion majeure en ce sens :

- Souvenez-vous, contraints et forcés par la COVID nous avons su travailler à distance et la numérisation n’est plus un problème pour quiconque. Nous avons besoin de nous voir, bien sûr, et de faire lien, évidemment. Mais nous pouvons aussi mieux travailler en restant sur les territoires. Et aussi en traitant de nombreux dossiers en Commission permanente.

- Repenser également l’animation des commissions me semble une nécessité, comme limiter l’inflation des commissions ad hoc.

- Savoir mieux entendre les aspirations des jeunes représentés au sein de l’Assemblea di a Ghjuventù que j’aurai grand plaisir à présider.

- Ouvrir notre assemblée aux Corses et, nous-mêmes, élus du peuple, aller à leur rencontre, échanger le plus souvent possible avec la Chambre des territoires.

- Nous ouvrir aux expériences d’autres territoires, en recevant des délégations extérieures sur des sujets précis ou en nous déplaçant nous-mêmes pour mieux comprendre des solutions expérimentées ailleurs.

- Enfin, n’oublions pas aussi que les Corses nous regardent, nous écoutent. Nous devons améliorer l’organisation de nos débats. Bien souvent, chères et chers collègues, nous perdons du temps et nous nous épuisons. Toutes les assemblées que j’ai présidées, à l'université, au CNRS, à l’ATC, au comité des régions, m’ont permis de constater que la qualité et la sérénité des débats étaient d’autant plus grands que le temps était maîtrisé. Bien sûr, toutes les traditions démocratiques anciennes sont fondées sur les pouvoirs de la parole, dont le premier est le pouvoir de persuasion, voire de retournement. Je connais votre passion pour les joutes oratoires, le dépôt des motions, etc…, mais il nous faudra de la mesure pour convaincre et retrouver aussi la confiance des Corses dans les outils que nous avons à notre disposition.

Allora per dà l’esempiu, aghju da compie stu primu missaghju ringrazienduvi torna una volta per u vostru sustegnu.
Inseme demuci per fine d’avè un assemblea muderna, intelligente, insinnata, dinamica, primurosa di u benestà di u populu è di a demucrazia.

Ùn vi ne scurdate mai : simu quì da a vuluntà di u populu, per u populu, è e sfide chì ci aspettanu sò tamante !

Qualesse sianu e dificultà, i strazii, i cuntrasti è a nostra diversità pulitica, vi vogliu fà sta pruposta …

« Femu populu inseme, avanzemu à core in fronte è demu un soffiu novu à l’avvene di u nostru paese »
 


Rédigé le Vendredi 2 Juillet 2021 modifié le Mercredi 7 Juillet 2021

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